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26/07/2006

Le testament de Nicolas du Peloux

medium_Chateau_de_Gourdan_-_armoiries.jpgDès 1528, deux frères Cordeliers, Etienne Macheville et Etienne Rénier, prêchent à Annonay les idées de Luther. En 1539, un marchand est brûlé vif comme hérétique pour n’avoir pas voulu s’agenouiller devant une image sainte placée sur la route qu’il suivait pour aller à la foire de Lyon ! C’est le début d’une longue période marquée par le pillage et les massacres des guerres de religion. Elles se poursuivront jusqu’au début du XVIIème siècle.

Fait plus tragique encore, le conflit est attisé par un chef catholique, Saint-Chamond, et un capitaine protestant, Saint-Romain… qui sont en réalité deux frères, Christophe et Jean de Saint-Priest.

 

Pourtant, depuis sa maison forte de la place Poterne, Nicolas du Peloux, gouverneur d’Annonay en 1572, va tenter de s’élever contre la fureur des hommes qui s’est abattue sur toute la région.

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 Voici son testament :

 

J’ai vu tant d’horreurs en ce Seizième siècle, qu’aujourd’hui encore il m’est impossible de trouver le repos. Je demeure en ces lieux muré dans le silence, insensible au temps qui s’écoule au dehors.

Christophe et Jean étaient frères de sang. Nés de la même mère, ils ont tété le sein de la même nourrice et s’endormaient, repus, dans le même berceau. Qui aurait pu prévoir qu’ils deviendraient un jour frères-ennemis mortels, aveuglés par la haine, assoiffés de pouvoir ? Œil pour œil… croc pour croc. Combien des leurs sont morts sous le fer de leurs armes avant qu’ils se retrouvent face à face… Saint-Chamond, le bourreau, et Saint-Romain, le défroqué.

Je n’avais que dix-neuf ans, lorsque j’eus maille à partir pour la première fois avec les Huguenots. Ils étaient cinq cents, j’étais seul et ils en voulaient à ma vie. Dieu merci, la raison en vint à bout et je pus regagner mon logis sans dommage.

Mais ce 31 octobre, il fallait bien se rendre à l’évidence nulle parole ne pouvait arrêter l’armée de Saint-Chamond. Les Protestants (nos parents, nos amis, nos voisins) étaient en grand danger. Par chance, notre maison forte était un abri sûr et un grand nombre d’entre eux eut la vie épargnée ! Je vois encore ma mère passant de l’un à l’autre. D’une écuelle de soupe fumante, d’un sourire lumineux, elle réconfortait les corps et les cœurs.

On dit que larrons sont vaillants gens d’armes et gens d’armes vaillants larrons. La ville fut saccagée pendant plusieurs jours. Les Protestants furent massacrés par milliers et les plus riches exposés à l’encan pour être rachetés à prix d’or. Quand les soldats avaient bu tout leur saoul, ils tiraient des coups de pistolet sur les tonneaux pour répandre le vin. Afin de divertir ses hommes, un capitaine mit son épée dans la main d’une femme et, lui poussant le bras, il l’obligea à plonger la lame dans le cœur de son mari. Tant de crimes odieux furent commis en des heures si sombres !

Quand le général Saint-Romain vint à son tour prendre Annonay, l’histoire se répéta, étrangement semblable… mais cette fois les soudards voulaient occire les Catholiques qui quittèrent la ville en hâte pour se réfugier à Boulieu, derrière de puissantes murailles.

Tandis que la terre, ravagée par la guerre depuis plus de dix ans, s’était transformée en un désert stérile, il fallait se nourrir de glands, de racines sauvages, de fougères, de farine faite avec du marc de raisin, de l’écorce de pin, des coquilles de noix, des tuiles et des briques, le tout mélangé à du son et à quelques maigres poignées de farine d’orge et d’avoine. Cela faisait une bien pauvre pitance amère et malsaine. Je sus alors que le temps était venu de cesser les combats pour que les hommes puissent en paix cultiver les champs et faire la récolte. La famine et les maladies causaient beaucoup de morts, les deux communautés prêtèrent à mes propos une oreille attentive et, au mois de février, je vis en grande liesse se conclure une trêve entre Annonay et Boulieu.

L’année suivante, Catholiques et Protestants, d’une même voix, me confièrent la double charge de bailli et de capitaine d’Annonay. Aussitôt investi de mon nouveau pouvoir, je fis entrer cent cinquante soldats dans notre maison de la place de la Pouterle. Nourris et armés sur mes propres deniers, ils repoussèrent les derniers assauts menés contre le château !

En treize ans, Christophe et Jean sont venus sept fois, le cœur rempli de haine, semer au nom de Dieu la désolation et la mort. Se sont-ils cherchés en vain ou se sont-ils trouvés en ce mois de septembre 1568… mais alors, comme Caïn et Abel, se sont-ils défiés sur les ruines d’une ville que leur fureur avait réduite en cendres ou ont-ils simplement passé leur chemin sans s’accorder un regard ?

Ces souvenirs sont restés trop longtemps scellés dans ma mémoire. Tous les cris vivent encore en moi et forcent mes oreilles closes. Le cri rauque des hommes qu’on égorge, le cri déchirant des femmes éventrées, le cri d’agonie des enfants jetés du haut des tours, le cri triomphant des vainqueurs, le cri torturé des vaincus… et partout le grondement sourd des flammes de l’enfer qui consument la ville tandis que se répandent le sang et l’odeur écœurante de la chair brûlée.

Dieu m’est témoin… je voulais vivre en paix !

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La légende de Guillaume et Béatrix de Roussillon

medium_Annonay_-_Porte_du_chateau_4.jpgLa Place de la Liberté est le passage obligé pour se rendre sur la colline du château où se dressait autrefois la forteresse des seigneurs d’Annonay. Elle avait d’épaisses murailles qui ont résisté à tous les assauts exceptés ceux du temps. On l’appelait parfois le Château de la Roche. Aujourd’hui on peut voir les deux portes d’enceinte tandis que le mystère des souterrains hante encore l’esprit des Annonéens. Les plus anciens racontent que ces fameux souterrains reliaient le château à toutes les sorties de la ville pour permettre, en cas de siège, une arrivée inattendue de renforts ou une retraite discrète des assiégés.

En l’an de grâce 1275, Guillaume de Roussillon, seigneur d’Annonay, part pour la croisade à la tête de son armée. Il laisse dans son château d’Annonay Béatrix de la Tour du Pin, son épouse devant Dieu, et leurs huit enfants. A peine arrivé en Terre Sainte, le jeune seigneur écrit une lettre…

 

 

Saint-Jean-d’Acre - L’an de grâce 1275

 

 

 Mon cher cœur,

Nous avons enfin débarqué à Saint-Jean-d’Acre après une traversée qui nous paru fort longue. La mer, tantôt plate et luisante comme un miroir, tantôt plus déchaînée que mille démons, n’a pas terni, dans notre mémoire, le souvenir de nos chères collines et de leurs courbes si douces au regard.

D’étranges animaux ont accompagné notre bateau tout au long du voyage. Ils semblent nourrir une grande amitié pour les hommes ; la compassion les pousse, dit-on, à secourir les naufragés qu’ils portent sans effort, sur leur dos, jusqu’à la terre ferme. Leur esprit enjoué et leur babillage incessant ont fort égayé notre humeur trop souvent impatiente… leur présence, au milieu des tempêtes, a redonné du courage aux cœurs les plus affaiblis. Mais vous-même, je crois, les avez déjà vus car les dauphins, c’est bien ainsi que l’on nomme ces créatures, figurent sur les armes du Dauphiné, votre pays natal.

Demain, à l’aube, nous prendrons la route de Jérusalem. Il nous faudra sans doute chevaucher longtemps dans la poussière, sous un soleil de plomb mais les hommes sont pressés d’en découdre. Les caprices de la mer n’ont que trop chaviré leur pauvre carcasse ! L’oisiveté en fit de timides donzelles… cependant, qu’on leur donne un cheval et, par Dieu, les voilà de nouveau de solides gaillards !

Nous retrouverons bientôt Guillaume de Beaujeu arrivé depuis peu en Terre Sainte. Nous joignant alors à la quête des Chevaliers du Temple, nous leur ferons escorte et, s’il le faut, nous combattrons jusqu’au trépas. De cette quête, je ne puis, hélas, rien révéler mais sachez qu’elle est des plus sacrées et digne de tous les sacrifices accomplis en son nom.

Dieu m’accordera-t-il de vous revoir, ma mie, à l’abri des murailles de notre château de la Roche  ?… Je ne sais… mais chaque jour mes pensées volent vers vous et vers nos chers enfants Parlez-leur souvent de leur père et guidez sagement leurs pas. Ils sont avec vous, ma douce, le trésor le plus précieux que je possède ici-bas.

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Trente et un ans plus tard, Béatrix vit retirée dans une modeste demeure non loin de la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez dont elle est la fondatrice.

Sentant venir la mort, elle écrit une lettre à sa fille, Eléonore.

 

Sainte-Croix-en-Jarez, le 21 février de l’an de grâce 1307

Ma très chère fille,

Ce que je vais vous conter ce jour d’hui n’a encore jamais été révélé. Vous le savez, je vis depuis fort longtemps déjà en Jarez et je sens que le temps qui m’est imparti sur cette Terre s’amenuise peu à peu ; il me faudra bientôt paraître devant notre Créateur. Cependant, je ne pourrai le faire l’esprit en repos qu’après vous avoir confié un secret concernant votre père et la modeste part que je pris à l’accomplissement de son destin.

 

A dire vrai, cette journée de septembre de l’an de grâce 1277 reste à jamais gravée dans ma mémoire. Le soleil venait à peine de se lever lorsque le capitaine de la garde vint m’annoncer l’arrivée de deux visiteurs qui avaient surpris la sentinelle à la porte de Deûme et qui se disaient porteurs d’un message de la plus haute importance. Tandis que je m’apprêtais à les recevoir, je sentis peser sur mon cœur un bien sombre pressentiment.

Les deux hommes m’attendaient dans la grande salle du château où j’avais ordonné qu’on leur porte un flacon de notre vin des Vignes du Roy ; l’un était d’âge mûr tandis que l’autre, très jeune, semblait encore un enfant. Ils étaient enveloppés de la tête aux pieds dans un vaste manteau gris grâce auquel ils pouvaient passer inaperçu dans l’obscurité de la nuit. Cependant, lorsque le plus âgé s’avança vers moi, il rejeta en arrière les pans de son habit et je vis, brodé sur sa poitrine, la croix rouge des Templiers.

- « Noble dame » dit-il en s’inclinant devant moi, « je suis le cousin de Guillaume de Beaujeu, le Grand Maître de notre ordre, et je vous apporte, hélas, une bien triste nouvelle. Le huitième jour de mai votre époux, Guillaume de Roussillon, seigneur d’Annonay, fut mortellement blessé à Saint-Jean-d’Acre. Mais avant de rendre son âme à Dieu, le seigneur Guillaume a recommandé que nous venions vous trouver. Il m’a dit quelle confiance il vous portait et il m’a assuré de votre aide. Je vous prie donc, malgré votre chagrin, de bien vouloir vous charger d’une mission. »

- « Beau sire, » répondis-je « j’aimerai toujours tendrement l’époux que Dieu m’a donné et, en gage de fidélité à mon seigneur, j’accomplirai la mission dont veut me charger l’ordre du Temple si vous pouvez me l’expliquer. »

 

 Alors, sans un mot, le jeune garçon, resté jusqu’ici en arrière, s’avança et, ouvrant son manteau, il me présenta, posé sur ses deux mains ouvertes, un coffret de bois précieux. D’un geste délicat, il en ôta le couvercle et je pus alors contempler à loisir la merveille qu’il contenait : une simple coupe d’or sans ornement, ni ciselure toute entière baignée d’une douce lumière et rayonnant d’un amour si pur qu’il m’était douloureux d’en détourner les yeux…

Une voix s’éleva :

- « Voici, devant vous, l’objet de notre Quête Sacrée… »

Je tendis les mains… mais le gardien du coffret scella à nouveau le couvercle. Un long frisson envahit tout mon corps car il me sembla alors être plongée dans la plus profonde des obscurités.

 

A mes côtés, le noble chevalier frissonna lui aussi, saisi par la brusque noirceur des ténèbres.

- « Gente dame, » dit-il « votre époux a donné sa vie afin de permettre que le Divin Calice parvienne jusqu’à vous. Il nous faut maintenant le soustraire à la convoitise des hommes et le déposer en lieu sûr. Pour cela, nous avons grand besoin de vous. »

Tout en parlant, il avait déplié devant moi une carte du Lyonnais sur laquelle il projeta la représentation des étoiles les plus brillantes du ciel d’hiver.

- « L’Ordre du Temple est le seul qui sache le moyen de trouver les neuf véritables portes du Royaume Secret… » dit-il avec un étrange sourire.

Puis il pointa le doigt sur l’une d’elles :

- « Et voici celle que nous emprunterons… mais le temps presse car le jour approche ! »

Curieuse, je me penchai pour observer le lieu ainsi désigné et je compris… Il m’appartenait maintenant de guider mes hôtes, en toute discrétion, là où ils devaient aller…

 

Le soir même, nous quittâmes Annonay en grand secret. J’avais choisi trois soldats, parmi les plus fidèles, pour nous faire escorte. Ils nous conduisirent à travers les souterrains du château jusqu’à la sortie nord de la ville. Puis, de nouveau à l’air libre, nous chevauchâmes une nuit et une journée entière sans nous arrêter. Nous évitions soigneusement les lieux trop fréquentés, préférant la pénombre des sous-bois à l’aisance des chemins pavés. A la tombée de la nuit, le jour de l’équinoxe d’automne, nous étions parvenus à destination. Le Chevalier du Temple et son jeune compagnon prirent congé de nous à grand regret puis ils s’avancèrent seuls parmi les Grandes Pierres… personne jamais ne les revit.

 

Le reste de ma vie fut ce que chacun connaît et il n’est pas dans mon propos d’en vanter les mérites. Cependant, au moment de nous séparer, sache, ma très chère enfant, que j’ai conservé pendant toutes ces années le mystère sacré du Graal comme un bien inestimable. Il t’appartient maintenant. Que sa lumière puisse illuminer ton chemin comme elle a illuminé le mien.

Béatrix de Roussillon s’est éteinte le 18 mai 1307, soit quelques mois après avoir écrit cette lettre.

Dieu fasse qu’elle ait rejoint dans l’Au-delà Guillaume, seigneur de la Roche, l’époux qu’elle chérissait tant et qu’ils vivent ensemble, heureux pour l’éternité…

 

 

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La légende d'André

medium_Roche_Pereandre.jpgLa roche Péréandre est un énorme rocher naturel qui se dresse au beau milieu de la Cance sur la commune de Vernosc-lès-Annonay. Sa stature imposante est bien connue des amateurs d’escalade et des randonneurs.

Mais, voyez-vous, un homme intrépide qui s’appelait André s’était mis dans la tête qu’un fabuleux trésor se cachait sous la roche. Il plongea un beau jour et découvrit une sorte de caverne dans laquelle il réussit à se glisser. Hélas, si la grotte était assez grande pour abriter un homme, elle ne contenait ni pièces d’or, ni joyaux. André devait se faire une raison, il allait rentrer chez lui bredouille ! De plus, comme pour ajouter encore à sa déconvenue, une crue subite fit monter le niveau de la rivière l’obligeant à passer trois jours et trois nuits dans son abri sous les eaux. Lorsqu’il put enfin sortir, tout transi, couvert de boue, il remonta péniblement en ville.

Alors qu’il passe devant le portail grand ouvert de la chapelle de Trachin, il voit la nef tout illuminée de cierges allumés : on y célèbre une messe de requiem. Notre homme touché par la compassion questionne un des assistants :

- « Mais qui donc est mort ? » 

Pour toute réponse, il n’obtient qu’un cri d’effroi :

- « C’est lui, c’est le mort qui revient... et en quel état ! »

Mais aussitôt ses parents et toute sa famille le reconnaissent et l’entourent :

- « André ! Nous t’avons cherché partout, nous t’avions cru disparu à jamais et nous faisions chanter un office à ta mémoire... mais te voilà ! Viens, viens déjeuner car tu dois mourir de faim. »

Un repas de funérailles attend la famille et les amis. Ce ne sont que gigots de moutons et poulets rôtis arrosés d’un bon vin de Cornas.

Mais… on ne se gave pas à son propre repas de funérailles impunément. André mangea tant... et tant… qu’il en mourut !

L’office put reprendre et s’achever à Trachin… le glas sonner pour de bon.

 La roche de la Cance aura malgré tout scellé le destin d’André… d’ailleurs elle garde toujours son souvenir. Elle s’appelle la roche où périt André… la roche Péréandre.

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