26/07/2006
La commère
Au 2 rue de Trachin se trouve la maison natale de Marc Seguin. L'inventeur y vit le jour le 20 avril 1786. Il était, par sa mère, le petit neveu de Joseph et Etienne de Montgolfier. Il vécut sous quatre rois (Louis XVI, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe), deux empereurs (Napoléon Ier, Napoléon III), trois révolutions (1789 - 1830 - 1848) et trois républiques (1ère République : Convention, Directoire, Consulat / 2ème République : Louis Napoléon Bonaparte / 3ème République : Présidents Thiers, Mac-Mahon).
A la fin de sa vie, on demanda à Marc Seguin d’inventer une machine de guerre pour combattre les Prussiens. Il répondit : « Je ne suis point un homme de guerre mais un pacifique qui n'a su travailler que pour le bien de l'humanité, ayant toujours cherché à créer et non pas à détruire. Je suis heureux de n'avoir pas inventé la poudre et, même en ces jours d'angoisse, je ne voudrais pas inventer pire. » Belle réplique n’est-ce pas ?
Mais il y a là une commère qui, tout en balayant le trottoir devant sa porte, brûle d’envie de nous en dire d’avantage !
Les gens de ma famille possèdent cette maison depuis des générations. Elle est située juste en face de celle des Seguin. Toute jeune, ma grand-mère avait été placée chez Monsieur Seguin père. Ce négociant en drap était un homme austère et très religieux qui menait ses cinq fils à la baguette.
L’aîné, Marc, n’a que sept ans quand il est envoyé à Talencieux chez un Dominicain, l’abbé Gros, qui fait l’école aux enfants de bonne famille. Là-bas, le petiotou va mener une vie bien dure.
Cinq ans plus tard, il quitte notre province pour monter à Paris où il sera dirigé par son parrain, Joseph de Montgolfier, qui est démonstrateur au Conservatoire des Arts et Métiers.
Le jeune monsieur est mis en pension dans un collège révolutionnaire laïc où la discipline est sévère. Heureusement, le jeudi et le dimanche, il se rend chez son grand-oncle qu’il aime et admire par-dessus tout.
Monsieur Marc étudie les sciences et puis, à la mort de Joseph de Montgolfier, son père le rappelle à Annonay et lui confie une dure besogne : visiter la clientèle c'est-à-dire courir le Vivarais et le Velay, à cheval, par tous les temps. Notre jeune monsieur emporte toujours avec lui des livres de physique et de chimie qu’il dévore le soir, à l'auberge. Et puis, quand la famille Seguin bâtit à Annonay une manufacture de draps, Marc s’occupe du matériel.
En 1813, il se marie avec Rose Duret ; elle lui fera treize enfants. Il est très amoureux de sa femme… au point de garder toujours une de ses chaussures sur son bureau à côté de l’encrier et de refuser qu’un peintre fasse son portrait parce qu’il ne veut pas que le regard d’un autre homme que lui se pose sur elle !
A trente-sept ans, Monsieur Marc met au point sa première grande invention : les ponts suspendus. Il construit d’abord une petite passerelle sur la Cance puis une autre, plus grande, sur la Galaure. Pour éprouver sa solidité, elle est chargée de quatre tonnes de gravier et les cinq frères Seguin vont s’asseoir encore au-dessus !
Notre courageux inventeur obtient alors l’autorisation de bâtir, à ses frais, à ses risques et périls et en dix-huit mois seulement, un pont suspendu sur le Rhône entre Tain-L’Hermitage et Tournon. Etant donné que les tréfileries de l’époque ne sont pas capables de fabriquer du matériel assez résistant, Monsieur Marc installe une fabrique qui tresse ses câbles avec du fil de fer ordinaire. Il invente aussi une cloche de plongée pour que les ouvriers puissent travailler sous l’eau. Une fois terminé, l’ouvrage est chargé de soixante tonnes de gravier et on y fait circuler des voitures pleines de pierres.
L’inauguration du premier pont suspendu a lieu le 25 août 1825 : ce jour-là, de nombreux badauds attirés par l’événement, se pressent sur les berges du Rhône. Comme Saint Thomas, beaucoup sont incrédules ! Qu’à cela ne tienne, Monsieur Marc est sûr de lui. Il propose à la foule de venir marcher sur son pont au pas cadencé. Sa belle assurance est sans doute communicative car tous s’avancent comme les moutons de Panurge… Dieu merci, l’ouvrage tient bon et, à la suite de cet exploit, les frères Seguin sont chargés de construire une vingtaine de ponts sur le Rhône. L’idée de placer un péage aux deux bouts et de faire payer chaque traversée va leur rapporter une petite fortune !
Pourtant Monsieur Marc ne s’en tient pas là. Après avoir effectué une série de voyages d'étude en Angleterre, il obtient la concession de la ligne de chemin de fer Saint-Etienne-Lyon pour le transport du charbon et des personnes. Puis il adapte une autre de ses inventions, la chaudière tubulaire, sur une locomotive qu’il fait circuler sur des rails en fer à la vitesse d’un cheval au galop.
Le succès remporté par ce nouveau moyen de locomotion va provoquer la colère des muletiers, des « rouliers » et « postiers » à cheval. Effectivement… le train leur enlève le pain de la bouche. Un jour, Monsieur Marc échappe de justesse à un coup de feu. Plus tard, des saboteurs placent des pierres sur la voie ferrée près d’Annonay pour faire dérailler le train. Heureusement, le pire est évité de justesse.
Les passagers sont d’abord assis sur des bottes de paille dans les wagons de marchandises. Mais Monsieur Marc se soucie de leur confort. Il crée des wagons spécialement pour eux avec des banquettes garnies de draps et il installe des vitres coulissant dans des glissières. Hélas, les voyageurs se taillent des gilets dans le drap des banquettes et volent les tirants des vitres pour s’en faire des bretelles ! Rien ne résiste aux vandales !
Malgré cela, Monsieur Marc refusera toujours d’exploiter le brevet de sa chaudière tubulaire car il ne veut pas tirer profit d’une invention qu’il considère comme utile à toute l'humanité.
Rose meurt en 1836. Son époux en éprouve un grand chagrin… Il se rend auprès de son beau-frère Elie de Montgolfier à Fontenay en Bourgogne. C’est là qu’il fait la connaissance de sa nièce, Marie-Augustine, dite « Mimi », la fille d’Elie. Il l’épouse, deux ans plus tard, bien qu’elle soit de trente-trois ans sa cadette. Elle lui donnera encore six enfants. Il a soixante-douze ans quand naît sa dernière fille.
Monsieur Marc va vivre dix-neuf ans à Fontenay. Il y dirige une papeterie, élève des escargots et expérimente l'ornithoptère, un engin volant à pédales piloté par un jeune prêtre de l’abbaye !… Et puis, un jour, il éprouve le mal du pays… De retour à Annonay avec sa nombreuse famille, il s’installe à Varagnes en dehors de la ville.
Toute la vie de Monsieur Marc est parfaitement réglée. Couché tôt car il réfléchit beaucoup au lit, il se lève tous les jours à quatre heures du matin. Il ne mange que des fruits et des légumes ; il ne boit que de l’eau. Il dépose même un brevet pour une invention qui permet de transformer le vin en eau ! Jésus, Marie, Joseph !
Il s’intéresse à tout : la physique, la chimie, l’astronomie. Il est passionné par les miroirs au point d’en installer partout dans ses maisons.
Devenu un beau vieillard à l’abondante chevelure blanche, Monsieur Marc continue à faire, par tous les temps, de longues promenades dès le point du jour. Il s’éteint paisiblement, à l’âge de quatre vingt-neuf ans, le 24 février 1875. Et je suis sûre qu’il est, là-haut, avec le Bon Dieu, en train de construire les chemins de fer du paradis.
Je ne peux pas promettre de vous conduire au paradis mais si vous continuez de grimper le long des rues pentues d’Annonay, vous en serez toujours un peu plus près !
15:55 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Marc Seguin, histoire d'Annonay, chaudière tubulaire, pont suspendu, patrimoine, Ardèche du nord