26/07/2006
Le bon docteur Caron
La chapelle de Trachin a échappé à tous les outrages infligés aux églises ou couvents d’Annonay pendant les Guerres de Religion. Histoire ou légende selon l’inclinaison de votre cœur, voici une bien belle explication à ce miracle.
A l’époque des guerres de religion, au cours d’un assaut, un chef protestant est grièvement blessé au pied des remparts. La plaie est profonde… au bout de quelques heures, l’infection gagne et la douleur devient insupportable. Les médecins présents, malgré tout leur savoir, se déclarent impuissants à soulager leur patient. Il doit se mettre en paix avec sa conscience et se préparer au trépas.
Mais l’homme ne l’entend pas de cette oreille. Il appelle son plus dévoué compagnon et lui dit :
- « Va me chercher Caron. Lui, saura me guérir. »
Caron est un médecin d’Annonay dont la réputation s’étend bien au-delà des limites de la ville et les malades viennent de loin pour le consulter… dans les cas désespérés. Mais Caron est catholique… la mission est délicate…
Le célèbre médecin réfléchit quelques instants… Il a prêté le serment d’Hippocrate, il se doit de porter secours à quiconque mais il déclare au soldat :
- « Et bien soit. J’irai soigner ton capitaine mais à une seule condition… il doit jurer sur son honneur de protéger la chapelle de Trachin. »
Voilà, pour sûr, un marché bien honnête ! La mort est redoutable… alors le Huguenot promet.
Quelques jours plus tard, grâce à l’habilité de Caron, la blessure, proprement désinfectée, se referme.
Notre capitaine était homme de parole. Trachin a survécu aux guerres de religion.
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Le rêve de Guigues Trachi
Depuis presque sept siècles, la chapelle de Trachin est plantée au cœur d’Annonay et des Annonéens. Plusieurs fois, elle a été sauvée in extremis de la ruine par des bienfaiteurs providentiels. En 1972, les Annonéens se sont mobilisés autour de l’Association des « Amis de Trachin » et de la « Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de l’Ardèche » pour mener à bien sa restauration.
Certes, les visiteurs ne peuvent oublier l’éclat des vitraux du chœur réveillé par les rayons du soleil matinal, ni l’émotion ressentie à la vue des vestiges de la chapelle Saint-Jean-Baptiste dans le clocher ou des visages naïfs de Guigues Trachi et de son épouse, Igeline de Saint Jullien, immortalisés dans la pierre.
Mais d’où vient le destin miraculeux de la chapelle de Trachin ? Peut-être de ses origines… Imaginez, elle fut fondée sur un rêve…
En effet, Guigues Trachi rêvait chaque nuit que, s’il se rendait à Lyon, sur le pont de la Guillotière, il y trouverait sa fortune.
Au début, il ne prêta pas grande attention à ce qui pouvait, cependant, être considéré comme un signe du destin mais, comme le même songe se répétait nuit après nuit, il voulut en avoir le cœur net. Il décida de se rendre à Lyon. Mais, avant de partir, pour sanctifier sa démarche, il fit vœu que s’il trouvait un trésor, il en consacrerait une partie à construire une église.
Lorsqu’il arriva à Lyon, Guigues Trachi se rendit aussitôt sur le pont de la Guillotière et, là, pendant toute la journée, il va ; il vient ; il va ; il vient.... Il cherche... mais le soir venu, il n’a rien trouvé. A l’auberge, attablé devant un bon repas, notre homme est encore plein d’espoir, il se dit que, sans doute éprouvé par les fatigues du voyage, il n’a pas bien regardé partout et il se promet que le lendemain il fera plus attention.
Le deuxième jour, de bon matin, Guigues Trachi retourne sur le pont de la Guillotière et, là, il va ; il vient ; il va ; il vient... Il regarde partout : sur le pont... sous le pont. Mais le soir venu, il n’a encore rien trouvé. A l’auberge, notre homme se sent un peu découragé, il a perdu sa belle assurance de la veille. Il se dit qu’il va encore rester une journée – la dernière – puis, qu’il ait trouvé ou non ce qu’il cherche, il rentrera chez lui le soir venu.
Le troisième jour, à l’aube, Guigues Trachi se retrouve sur le pont de la Guillotière et, là, il va ; il vient ; il va ; il vient. Mais cette fois, il scrute le moindre recoin, il explore la plus petite fente entre les pierres, il creuse à main nue la terre des berges sous le pont. Hélas, le soir venu il n’a toujours rien trouvé.
Guigues Trachi va rentrer chez lui… quand il aperçoit, à l’autre bout du pont, une petite vieille, toute courbée sur sa canne, qui marche vers lui. Lorsqu’elle arrive à sa hauteur, elle s’arrête et le regarde :
« Dites-moi, mon bon monsieur, voici trois jours que je vous vois aller et venir sur ce pont. Qu’est-ce que vous pouvez bien chercher ? »
Alors Guigues Trachi raconte son histoire : « Et bien, j’ai rêvé que si je venais ici, sur le pont de la Guillotière, j’y trouverais ma fortune mais voilà trois jours que je cherche et je n’ai rien trouvé. Alors je m’en vais rentrer chez moi. »
A ces mots la petite vieille se met à rire... mais à rire... à rire aux éclats :
« Ah, ah, mon bon monsieur, vous êtres bien fou de croire aux rêves. Tenez, moi, par exemple, je rêve chaque nuit que si je me rends à… Annonay, dans le jardin d’un certain… Guigues Trachi, au pied d’un figuier, je trouverai un trésor. Mais je ne suis pas assez bête pour y aller ! »
Guigues Trachi demeure silencieux mais il s’empresse de rentrer à Annonay et rien ni personne ne pourrait arrêter sa course. Arrivé chez lui, hors d’haleine, il ne prend même pas le temps de souffler un peu ou d’embrasser sa femme. Pourtant elle était très belle ; il l’aimait passionnément et il y avait maintenant presque une semaine qu’il ne l’avait pas vue… mais non, il se précipite dans son jardin, creuse au pied du figuier et découvre.... le trésor.
Guigues Trachi a tenu sa promesse et utilisé une partie de sa fortune pour faire construire la chapelle qui porte son nom. Ce qu’il fit du reste du trésor, personne ne le sait. Mais il était devenu un homme fort sage et je suis sûre qu’il en a fait bon usage.
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La légende de la châtaigne
Les ruelles du Vieil Annonay réservent bien des surprises aux promeneurs curieux. Il suffit de garder toujours les yeux et le cœur grand ouverts.
Devant la belle porte du n° 1 de la rue Barville, une femme est assise. Dans cette étroite ruelle coincée entre de sombres murs, un rayon de soleil est venu l’éclairer. Elle épluche des châtaignes. Une petite fille, assise sur une marche de l’escalier de pierre, berce doucement un chaton en fredonnant une chanson.
« S’il te plait, raconte-lui une histoire pour qu’il s’endorme » demande l’enfant.
La femme sourit alors qu’une légende lui revient en mémoire. Elle la tient toute entière au bout de ses doigts agiles, lisse et brillante mais si difficile à décortiquer… L’enfant voit l’ombre d’un homme qui se penche sur sa mère. Dans la ruelle, le temps semble s’être arrêté :
En ce temps-là, les pentes ardéchoises étaient aussi nues que la main. Les eaux du ciel y roulaient à plaisir et les lavaient mieux que n’auraient su le faire les chercheurs d’or. C’est ainsi que la bonne terre s’en allait et que seuls les rochers restaient. Les Ardéchois gémissaient.
« Regardez-nous » disaient-ils, suant et soufflant courbés sous la hotte. « Nous remontons notre sol sur notre dos comme on porte sa misère. Nous bâtissons des murs... et des murs pour le garder chez nous. Et pourtant les vertèbres de notre pays pointent de partout que c’en est grand pitié ! » Et c’était bien vrai ma foi !
Le cœur affligé des Ardéchois s’éleva tant et tant comme les litanies des vêpres que Dieu le Père tint conseil dans sa grande mansuétude. Tous avis entendus, la décision fut prise :
« Qu’on leur donne un arbre » dit Dieu.
Et le châtaignier sortit de terre. Il prit racine partout. Dans la moindre saignée du rocher, il se cramponnait ; dans les combes et les vals, il se multipliait.
Les Ardéchois étaient aux anges. Ils prirent ses feuilles et en firent la litière et la nourriture de leur troupeau, le fumier de leur jardinet et l’ombre de leurs assemblées. De son bois, ils firent la charpente de leur maison, la poutre maîtresse de leur cheminée et la canne de leur berger. Restait le fruit : il était sucré et nourrissant mais, comme tous les fruits des arbres trop vite faits, il était nu sur la branche comme la cerise, la prune ou le raisin. C’était un fruit agréable mais sans esprit.
Les Ardéchois n’osaient pas se plaindre à haute voix ; ils ne voulaient pas discuter un don du ciel mais ils n’en pensaient pas moins. Dieu le Père qui entend tout, et surtout ce qui n’est pas dit, s’irrita d’abord puis il décida de déléguer au pays ardéchois un de ses spécialistes de l’arboriculture.
« Qu’ils fassent donc leurs châtaignes comme ils les veulent en trois coups, pas un de plus. »
C’est ainsi que Noune, le plus éveillé des Ardéchois, rencontra un jour, par hasard, le délégué providentiel au coin d’un bois.
« Alors, Noune » dit le Céleste, « qu’est-ce qui ne va point ? »
« Ma foi, mon bon Monsieur » articula Noune après avoir enlevé sa casquette d’un geste mesuré, « il faudrait peut-être que cette châtaigne soit comme notre cœur. »
Ainsi fut fait. Au lieu de pendre toutes dénudées au bout des branches, les châtaignes se cachèrent à partir de ce jour-là dans une bogue. Des piquants au-dehors, du velours au-dedans et des châtaignes serrées l’une contre l’autre, plates dans le dos, rondes par devant comme l’homme et la femme qui sont les deux moitiés d’une même chose !
Au second jour, Noune fut à nouveau consulté.
« Alors, Ardéchois » dit le Céleste, « qu’a donc cette châtaigne qui ne va point ? »
« Ma foi, mon bon Monsieur » répondit-il après avoir enlevé sa casquette, « il faudrait bien qu’elle prenne son temps et.... qu’elle nous le donne. »
Ainsi fut fait. La châtaigne s’entoura d’une pellicule brune et résistante. On devait dès lors la déshabiller avant de la manger...... la déshabiller patiemment, calmement entre les doigts après l’avoir fait danser dans les flammes. C’est ainsi que les choses qui ne se donnent pas simplement prennent le goût délicieux de l’attente. Le temps pris par la robe de la châtaigne, la châtaigne le rendit aux Ardéchois. Elle fit aussi un pacte d’amour avec les grands feux de bois qui dansent dans les yeux jusqu’au fond de l’âme. C’est ainsi que les Ardéchois s’accoutumèrent à se réunir le soir à la veillée et à causer pour causer..... et à rêver pour rêver.
Au troisième jour, Noune fut à nouveau consulté pour la dernière fois.
« Alors » dit l’envoyé céleste, « vous voilà contents, toi et les tiens ? »
« Ma foi, mon bon Monsieur » répondit-il après avoir enlevé sa casquette, « encore faudrait-il que notre châtaigne ne soit pas trop parfaite. »
Ainsi fut fait. La châtaigne reçut une deuxième enveloppe fine et ligneuse à la fois qui épousait tous ses contours et rentrait parfois dans sa chair comme les racines du châtaignier dans les interstices de la roche..... ou bien comme ces petites choses de la vie qui viennent se glisser dans les grandes pour l’irritation ou le désarroi de ceux qui voudraient que tout leur soit donné d’un seul coup.
Noune regretta d’abord d’avoir souhaité ce qui lui fut accordé. Et puis au fil des jours... et des jours, il ne regretta rien du tout. Cette seconde peau paya au centuple son existence. Elle laissa dans les replis secrets du fruit de petits accroche-gorges légèrement râpeux qui firent merveille ! « Qu’on apporte à boire ! » cria-t-on les soirs de veillée. On tira des tonneaux des pichets de vin rouge et des pichets de vin blanc.... et l’on se mit à s’adoucir le gosier par de franches lampées... et l’on se mit à parler... et l’on se mit à rire.... et l’on se mit à chanter.
Depuis, lorsque Dieu le Père, les soirs d’hiver, écoute les bruits de la terre, il entend dominant les clameurs et les tumultes, les fureurs et les cris de rage, le cœur puissant des Ardéchois qui chantent à pleins poumons autour du feu en mangeant leurs châtaignes. C’est ainsi qu’il comprend, après en avoir douté peut-être, que sa création a du bon.
La femme se redresse, un sourire attendri sur les lèvres ; une étincelle brille dans les yeux de l’enfant. Elle jurerait qu’avant de disparaître, l’ombre de l’homme lui a fait un petit signe de la main.
Texte d’André Griffon
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