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18/08/2006

Prenez l'air avec Séraphina !

medium_SeraphinaCouleur.3.jpgBonjour… Je m’appelle Séraphina, je suis le premier ballon à air chaud… La première montgolfière si vous préférez… Celle qui s’est envolée le 4 juin 1783 dans le ciel d’Annonay.

 

Bâtie sur 7 collines, cette ville existait sans doute déjà aux environs de l’an 400 !

 

Entre ses deux rivières, la Deûme et la Cance, Annonay était au Moyen-Age un lieu de passage très important. Les pèlerins et les seigneurs en route pour la Croisade s'y reposaient, s'y faisaient soigner et y achetaient des provisions.

 

Après les guerres de religion , au 17ème siècle, Annonay a développé trois types d’industries : le cuir, le papier et le textile.

medium_Square_AIAA_1.3.jpgLa place des Cordeliers doit son nom à un couvent, devenu aujourd’hui une école primaire.

C’est exactement à cet endroit que je me suis envolée grâce au génie de mes deux pères, Joseph et Etienne de Montgolfier. Sur le square du Premier Envol où se dresse ma silhouette, lisez ce qui est inscrit sur la plaque. Vous y verrez aussi mon portrait en médaillon et la date à laquelle je suis devenue célèbre.

 

Envolons-nous maintenant vers l’avenue de l’Europe. Figurez-vous qu’ici autrefois on pêchait à la ligne dans la Deûme. Mais, en 1964, on a commencé à couvrir la rivière et elle coule maintenant sous nos pieds.

medium_Tour_des_Martyrs_1.jpgDu haut de la Tour des Martyrs, bâtie il y a 10 siècles, les soldats guettaient les ennemis et tiraient à l’arbalète par des fentes horizontales appelées « meurtrières ». 

A droite, une de mes sœurs montgolfière, peinte en trompe l’œil, semble vouloir s’élever au-dessus des immeubles. Mais je suis là moi aussi, peinte sur  une façade, avec mes faisceaux de tissus aux couleurs d’Annonay et mes 1 800 boutons.

Autrefois, il fallait passer sur le pont Valgelas pour entrer dans la ville, pas question de voler par dessus les remparts ! C’est là que la Deûme retrouve sa liberté, regardez-la courir vers le quartier des Fouines où habitent les Afars.

medium_Voutes_Soubise_3.jpgLes plus courageux pourront explorer les voûtes Soubises avant de se rendre sur la place de la Mure. Qui a vu la petite colonne romane qui décore le mur d’une de ses maisons ?

Montez l’escalier, passez sous « l’estre » qui enjambe la rue (il permet d’aller d’une maison à l’autre par la voie des airs !), continuez de grimper... vous voilà sur la place de la Liberté. Le mercredi et le samedi, elle est très animée car c’est là que se tient le marché.

Les cloches du beau clocher de la chapelle de Trachin  rythment la vie des Annonéens depuis 1320.

Au fond de la place, Marc Seguin nous attend. Par son second mariage, il est devenu membre de la famille de Montgolfier. Mais cet illustre personnage est connu pour ses deux inventions principales représentées sur sa statue : le pont suspendu et la chaudière tubulaire, une machine à vapeur qui a permis le développement du chemin de fer.

Suivez-moi, je vous emmène maintenant rue Franki-Kramer. C’était autrefois la Grand Rue ! Tout le monde y passait pour traverser la ville.

A l’angle de la rue de Trachin, se trouve la maison natale de Marc Seguin.

Non loin de là, si vous levez les yeux, vous allez voir un petit visage en pierre qui sourit !

Au n° 15 de la rue Franki-Kramer, la porte du temple de l’Eglise Réformée date du 18ème siècle.

Sur la place Mayol, une maison du 16ème siècle possède une tour qui renferme un bel escalier à vis très étroit.

medium_Place_Grenette_-_halle_1.jpgDescendez le Passage du Marché pour arriver sur la place Grenette. Là, promenez-vous sous les arcades de l’ancienne halle du marché aux grains et imaginez que vous remontez le temps !

La fontaine date de 1725 et la vieille porte cloutée avec un encadrement en pierre est du 16ème siècle.

Rue des Jardins, peut-être serez-vous accueilli par un matou assis sur les marches de l’ancien orphelinat.

Courage ! Montez encore un peu et vous voici devant le couvent Sainte Marie. Bâti en 1630, il était occupé par des religieuses qui instruisaient les jeunes filles, riches ou pauvres.

Rue Sainte Marie, admirez la porte de la chapelle du couvent puis retournez-vous pour découvrir la colonnette encastrée dans la façade d’une maison.

medium_Square_de_Backnang_-_armoiries_de_Backnang.jpgDu square de Backnang, vous pourrez profiter d’une vue aérienne d’Annonay sans pour autant être obligés de voler... comme moi ! Backnang est notre ville jumelle en Allemagne ; cherchez au milieu des fleurs son blason placé à côté de celui d’Annonay.

Si j'avais décollé de la place du Champ de Mars où se tenait autrefois le marché aux bestiaux, je me serais peut-être posée dans les vignes du Mont Miandon qui se dresse juste derrière.

Sur cette grande place se trouve la statue de François-Antoine Boissy d’Anglas, un homme célèbre au temps de la Révolution. Il a été président de la Convention en 1795. N’a-t-il pas fière allure ? Il se trouvait parmi ceux qui m’ont acclamée sur la place des Cordeliers lors de mon premier vol.

medium_Chapelle_de_l_hopital.jpgNe quittez pas ce lieu avant d’avoir vu le vieil hôpital avec sa tour et sa chapelle coiffée d’un clocheton. A la fin du 17ème siècle, il était très moderne !

Quant à la grosse tour qui faisait partie des remparts, elle est aujourd’hui coincée entre les maisons.

Rue Jean-Baptiste Bechetoille, les bâtiments du musée vivarois César Filhol abritaient un tribunal et une prison. De nos jours, c’est un lieu très intéressant qui raconte le passé d’Annonay et de ses environs.

Sur la Place des Forges, se dresse l’énorme église Notre-Dame construite en 1912. Ne trouvez-vous pas que son clocher ressemble un peu à une montgolfière ?…

Descendez jusqu’à la place Poterne où se trouve la maison forte de Nicolas du Peloux, gouverneur d’Annonay à la fin du 16ème  siècle.

 

Puis avancez jusqu’à l’entrée de la rue du Docteur Barry et levez la tête pour voir le balcon d’où Joseph de Montgolfier sautait pour expérimenter l’une de ses inventions considérée aujourd’hui comme l’ancêtre du parachute. Quel courage, n’est-ce pas ?

medium_Statue_des_Freres_Montgolfier_12.jpgSur la place de la Libération, voici la statue des frères Montgolfier sur laquelle je suis moi-même représentée... en miniature !

Non loin de là, se trouve le parc public Mignot. Profitez-en pour vous promener un moment dans les jardins à la française ou vous reposer sur un banc au bord des bassins.

Puis, descendez la rue Boissy d’Anglas. En passant devant le portail de la chapelle de Trachin, saluez la tête sculptée de Guigues Trachi, son fondateur et la vierge en pierre du 17ème siècle.

medium_Rochers_de_Saint_Denis_2.jpgLa rue Montgolfier vous ramènera place des Cordeliers, le point de départ de notre promenade. En passant sur le pont Neuf, arrêtez-vous un instant pour regarder les rochers de Saint Denis d’où Joseph de Montgolfier sautait, paraît-il, aussi en « parachute ».

Je profite du courant d’air pour m’élever et descendre le cours de la Deûme. Elle s’en va se marier avec la Cance à l’autre bout de la ville et je vais assister à ses noces.

Au revoir à tous… Ne m’oubliez pas ! Je m'appelle Séraphina… et je suis le tout premièr ballon à m'être élancé à l'assaut du ciel !

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26/07/2006

Le moine

Un événement extraordinaire s’est déroulé devant le couvent des frères Cordeliers, sur l’actuel square du Premier Envol. Ce fut, à vrai dire, une véritable révolution pour les mentalités de l’époque !… Adélaïde s’en émerveille lorsqu’elle écrit à son époux, Etienne : « Admire le progrès des choses et le changement opéré dans les têtes ! Il y a un an que l’on se cachait pour faire des expériences… que j’étais obligée de vous couvrir de l’égide de mes moqueries pour prévenir celles des autres et éviter le ridicule. Aujourd’hui votre découverte se révèle à la face de l’univers avec l’approbation et l’admiration de toute la terre… » La merveilleuse découverte dont parle la jeune femme pourrait se résumer en quelques mots : « Sic itur ad astra » : c’est ainsi que l’on s’élève jusques aux cieux.

medium_Cour_des_Cordeliers_-_arcades_1.2.jpgSous les arcades de la cour des Cordeliers, un moine lit son bréviaire à la lueur d’une bougie. Il fait partie de l’ordre des Franciscains et porte autour de la taille une corde en guise de ceinture. Cela explique pourquoi il est familièrement appelé Frère Cordelier. Tout à coup il relève la tête, ferme son missel et se met à parler d’abord lentement puis avec de plus en plus d’assurance au fur et à mesure que les évènements lui reviennent en mémoire. 

 

Le 4 juin 1783 ! Si je m’en rappelle !… J’étais bien jeune alors mais c’est précisément ce jour-là que j’ai commencé à m’intéresser à un diable d’homme… Joseph...

Joseph est né le 26 août 1740 à Vidalon-lès-Annonay. Douzième enfant d’une famille qui en comptera seize au total, il est fils de papetier. Son père, Pierre Montgolfier, est un homme sévère et soucieux de la bonne marche de ses affaires.

Enfant, Joseph n’est pas du tout un bon élève ; ah ! ça non ! Aux règles de grammaire, il préfère regarder par la fenêtre monter les fumées des cheminées. De ce fait, toute sa vie, il fera des fautes d’orthographe à tous les mots.

Pendant les cours de mathématiques, ses précepteurs le perdent ; il préfère se cacher dans les cuisines où il essaie de comprendre comment fonctionne le tirage des fourneaux.

Il se sauve même du collège de Tournon où il a été mis en pension pour vivre de coquillages et de colportage ! Pensez donc !

Devenu adulte, Joseph regrette de n’avoir pas assez étudié et, alors qu’il est de passage dans le Pilat, il achète un traité d’arithmétique à un colporteur rencontré par hasard.

Joseph apprend sans peine les formules de base et élabore une méthode de calcul mental aussi personnelle que particulière. Personne ne comprend sa méthode et lui-même ne peut l’expliquer. Seul, son frère Etienne, qui a fait de solides études à Paris, arrive à comprendre les idées de Joseph et parvient aux mêmes résultats par des méthodes traditionnelles ! Avec les deux frères, l’intuition géniale s’allie à la culture scientifique.

Il est vrai que Joseph a une mémoire extraordinaire. Il est capable de réciter une poésie après l’avoir entendue une seule fois. Il n’a pas besoin de coucher des chiffres sur le papier, tout est dans sa tête. C’est un vrai génie mais aussi un personnage un peu fantaisiste au grand désespoir de son père.

Comme tous les grands penseurs, il est très distrait au point de partir à cheval et de rentrer à pied… Un jour qu’il a passé la nuit dans une auberge, il se voit réclamer, au moment de partir, une forte somme pour l’entretien d’un cheval. Joseph proteste en disant qu’il voyage à pied et qu’il doit y avoir erreur. L’aubergiste insiste en disant qu’il a dans son écurie une monture qui appartient bien à Monsieur Montgolfier. Joseph se fait alors conduire auprès du cheval qui hennit de plaisir… en reconnaissant son maître ! En effet, lors d’un précédent voyage, Joseph a oublié le pauvre animal et il est rentré chez lui à pied.

Encore quand il ne s’agit que d’un cheval !… Un jour, alors que Joseph se rend à Lyon, il s’arrête à Vienne pour y passer la nuit. Au matin, le voilà qui reprend la route. C’est ainsi que, marchant en pensant et pensant en marchant, il arrive à Lyon et se rend chez la personne qu’il doit visiter. Celle-ci s’étonne de le voir arriver tout seul : « Monsieur Montgolfier, j’espère que madame votre épouse n’est point souffrante ! » – « Mon Dieu, Thérèse ! » s’exclame l’étourdi. Il a oublié sa femme à l’auberge ! Tout penaud, il s’empresse alors de retourner à Vienne chercher la malheureuse qui l’attend, résignée.

Les inventions de Joseph provoquent souvent l’étonnement de ses concitoyens.

medium_Rue_du_Dr_Barry_-_balcon.jpgAfin de ralentir, ou du moins d’amortir, la chute des corps, notre inventeur conçoit un engin qui ressemble à s’y méprendre à un grand parapluie relié par douze cordelettes à un panier d’osier sous lequel sont accrochées des vessies de porc gonflées d’air ! Pour son premier essai, Joseph décide de sauter, rue Seyssel, du haut de la terrasse de son ami Barthélémy Barou, seigneur de la Lombardière. A leur fenêtre, les voisines qui le regardent faire s’écrient tout affolées : « Mon Dieu, Monsieur de Montgolfier est devenu « chïmple » ! Il saute par son balcon avec son parapluie ! »

Quant à son neveu, le fils d’Etienne, il affirme que Joseph s’élance aussi parfois du haut des rochers de Saint Denis !

Mais venons-en au fait. Un jour, Joseph, âgé tout de même déjà de quarante-deux ans, se trouve à Avignon pour affaires. Seul, au coin de la cheminée, il a sous les yeux une estampe qui représente le siège de Gibraltar. Par terre et par mer, les troupes franco-espagnoles n’ont essuyé que des échecs. Dans la Cité des Papes, il fait froid, le feu brûle et, soudain, Joseph s’écrie : « Mais ne pourrait-on pas y arriver au travers des airs ? La fumée s’élève dans la cheminée, pourquoi n’emmagasinerait-on pas cette fumée de manière à en composer une force disponible ? »

Sitôt dit, sitôt fait. Il appelle sa logeuse et lui demande d’apporter du taffetas, du fil, des aiguilles, des ciseaux. Après un rapide calcul, il découpe une pièce cubique, la coud sur cinq côtés et, sous les yeux étonnés de la maîtresse du logis, il froisse un journal et l’enflamme.

Quand il présente le sixième côté, ouvert, de son petit cube au-dessus de la chaleur, celui-ci se gonfle et virevolte vers le plafond. Aussitôt Joseph écrit à son frère, Etienne : « Prépare promptement des provisions de taffetas, de cordages et tu verras une des choses les plus étonnantes du monde. »

Durant tout le trajet, à pied certainement, Joseph a le temps de réfléchir à son exploit.

Malgré les réticences de Pierre Montgolfier qui considère qu’un « amusement » distrait ses fils de leur activité papetière, toute la fratrie se met au travail pour fabriquer un petit ballon avec ce qui lui tombe sous la main : les robes des sœurs et une pièce de soie de Florence destinée à doubler des gilets… Je vous laisse imaginer la colère d’Anne, leur mère ! Cependant, Etienne et Joseph sont autorisés à faire un premier essai dans une grande pièce de la maison libérée pour l’occasion de ses meubles les plus encombrants. Le petit ballon s’élève facilement. Aussitôt, on décide de tenter une nouvelle expérience mais, cette fois, en extérieur.

Un deuxième globe s’envole le 14 décembre 1782 devant les ouvriers de la papeterie. La réussite dépasse les espérances des inventeurs. Maintenant ils envisagent de faire un ballon beaucoup plus grand qu’ils appellent en secret… Séraphina !

Deux essais ont lieu dans les environs d’Annonay, l’un à Brogieux, l’autre à Colombier-le-Cardinal. Cette dernière tentative se passe de nuit, les frères Montgolfier ont fixé une petite lanterne à la base de leur globe pour le suivre des yeux. Deux de leurs amis le retiennent captif mais les forces leur manquent, ils sont soulevés. Ils essaient de reprendre pied, le ballon est plus fort qu’eux et ils lâchent prise. La machine s’élève vers les cieux, il faut la rattraper. Une folle poursuite s’engage…

Des muletiers qui montent de Serrières voient une lumière qui se déplace dans le ciel et qui semble descendre vers eux…, ils entendent le claquement des sabots des chevaux des poursuivants. Il pensent que Satan descend sur terre… et ils s’enfuient affolés !

Une fois arrivés à Annonay, nos hommes, à peine remis de leur frayeur, racontent leur aventure. La ville est en émoi, certains disent que les Montgolfier s’adonnent à la sorcellerie. Afin de couper court à ces rumeurs qui mettent en péril la prospérité de la papeterie, Pierre Montgolfier incite ses fils à organiser une expérience publique. Mais il faut que ce soit un succès, il en va de la réputation de la famille.

Ce vol officiel a lieu le 4 juin 1783 sous les murs du jardin de notre couvent en présence des députés des Etats du Vivarais qui consignent scrupuleusement tous les détails de l’expérience.

medium_Square_de_l_AIAA_-_medaillon_1.jpgLe ballon a trente-six pieds de diamètre, trente-trois pieds de hauteur pour un poids total de cinq cents livres. Il est composé de fuseaux de toile à sac jaunes et rouges réunis par mille huit cents boutons et boutonnières toutes faites à la main. Il est doublé de trois couches de papier. L’ensemble est renforcé verticalement par une sorte de filet de cordes. Le ballon est maintenu par un châssis et deux mâts.

Une foule nombreuse est venue assister à l’événement : au premier rang, les députés des états du Vivarais, puis viennent en carrosse les nobles des environs dans leurs plus beaux atours et enfin, débouchant des rues attenantes, la population de la ville curieuse et excitée. Attiré par le bruit et l’agitation, j’abandonne moi-même mon travail pour monter sur le mur du jardin et voir ce qui se passe sur la place. La curiosité est un si petit défaut !…

On allume avec de l’alcool un feu de paille sèche, de laine mouillée et de vieilles chaussures. Tout cela produit beaucoup de fumée ; l’odeur est pestilentielle ! De plus, ce jour-là , il pleut sur Annonay. Il faut maintenir le chauffage pendant le vol. Les frères Montgolfier improvisent un réchaud fixé à la base du ballon.

L’enveloppe prend forme, huit hommes ont de plus en plus de mal à la retenir, ils s’arc-boutent, les parois sont tendues. Joseph crie alors : « Lâchez tout » et le ballon s’envole sous nos yeux. Deux Annonéens viennent de dompter les airs !

Le globe monte vite jusqu’à une hauteur d’environ cinq cents toises. Après un vol d’une dizaine de minutes, l’air chaud s’échappant par les trous d’aiguilles, il tombe tranquillement dans une vigne. Au sol, un brandon s’échappe et met le feu à l’enveloppe. Des vignerons qui se trouvent là, croyant avoir affaire à un astre tombé du ciel, s’enfuient à toutes jambes en laissant brûler l’enveloppe.

C’est ainsi que s’achève l’aventure du premier ballon à air chaud. Bien d’autres verront le jour loin d’Annonay et ils porteront désormais le nom de « montgolfières ».

 

Notre moine pousse un soupir d’aise puis il ouvre son missel à la page où il s’était interrompu et reprend sa lecture. Il faut maintenant le laisser à ses prières… et, pour ne pas troubler sa douce méditation, se retirer sur la pointe des pieds.

 
medium_Statue_des_Freres_Montgolfier.jpg

 

La commère

medium_Maison_Marc_Seguin.3.jpgAu 2 rue de Trachin se trouve la maison natale de Marc Seguin. L'inventeur y vit le jour le 20 avril 1786. Il était, par sa mère, le petit neveu de Joseph et Etienne de Montgolfier. Il vécut sous quatre rois (Louis XVI, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe), deux empereurs (Napoléon Ier, Napoléon III), trois révolutions (1789 - 1830 - 1848) et trois républiques (1ère République : Convention, Directoire, Consulat / 2ème République : Louis Napoléon Bonaparte / 3ème République : Présidents Thiers, Mac-Mahon).

A la fin de sa vie, on demanda à Marc Seguin d’inventer une machine de guerre pour combattre les Prussiens. Il répondit : « Je ne suis point un homme de guerre mais un pacifique qui n'a su travailler que pour le bien de l'humanité, ayant toujours cherché à créer et non pas à détruire. Je suis heureux de n'avoir pas inventé la poudre et, même en ces jours d'angoisse, je ne voudrais pas inventer pire. » Belle réplique n’est-ce pas ?

Mais il y a là une commère qui, tout en balayant le trottoir devant sa porte, brûle d’envie de nous en dire d’avantage !

 

Les gens de ma famille possèdent cette maison depuis des générations. Elle est située juste en face de celle des Seguin. Toute jeune, ma grand-mère avait été placée chez Monsieur Seguin père. Ce négociant en drap était un homme austère et très religieux qui menait ses cinq fils à la baguette.

L’aîné, Marc, n’a que sept ans quand il est envoyé à Talencieux chez un Dominicain, l’abbé Gros, qui fait l’école aux enfants de bonne famille. Là-bas, le petiotou va mener une vie bien dure.

Cinq ans plus tard, il quitte notre province pour monter à Paris où il sera dirigé par son parrain, Joseph de Montgolfier, qui est démonstrateur au Conservatoire des Arts et Métiers.

Le jeune monsieur est mis en pension dans un collège révolutionnaire laïc où la discipline est sévère. Heureusement, le jeudi et le dimanche, il se rend chez son grand-oncle qu’il aime et admire par-dessus tout.

Monsieur Marc étudie les sciences et puis, à la mort de Joseph de Montgolfier, son père le rappelle à Annonay et lui confie une dure besogne : visiter la clientèle c'est-à-dire courir le Vivarais et le Velay, à cheval, par tous les temps. Notre jeune monsieur emporte toujours avec lui des livres de physique et de chimie qu’il dévore le soir, à l'auberge. Et puis, quand la famille Seguin bâtit à Annonay une manufacture de draps, Marc s’occupe du matériel.

En 1813, il se marie avec Rose Duret ; elle lui fera treize enfants. Il est très amoureux de sa femme… au point de garder toujours une de ses chaussures sur son bureau à côté de l’encrier et de refuser qu’un peintre fasse son portrait parce qu’il ne veut pas que le regard d’un autre homme que lui se pose sur elle !

medium_Pont_du_Moulin.2.jpgA trente-sept ans, Monsieur Marc met au point sa première grande invention : les ponts suspendus. Il construit d’abord une petite passerelle sur la Cance puis une autre, plus grande, sur la Galaure. Pour éprouver sa solidité, elle est chargée de quatre tonnes de gravier et les cinq frères Seguin vont s’asseoir encore au-dessus !

Notre courageux inventeur obtient alors l’autorisation de bâtir, à ses frais, à ses risques et périls et en dix-huit mois seulement, un pont suspendu sur le Rhône entre Tain-L’Hermitage et Tournon. Etant donné que les tréfileries de l’époque ne sont pas capables de fabriquer du matériel assez résistant, Monsieur Marc installe une fabrique qui tresse ses câbles avec du fil de fer ordinaire. Il invente aussi une cloche de plongée pour que les ouvriers puissent travailler sous l’eau. Une fois terminé, l’ouvrage est chargé de soixante tonnes de gravier et on y fait circuler des voitures pleines de pierres.

L’inauguration du premier pont suspendu a lieu le 25 août 1825 : ce jour-là, de nombreux badauds attirés par l’événement, se pressent sur les berges du Rhône. Comme Saint Thomas, beaucoup sont incrédules ! Qu’à cela ne tienne, Monsieur Marc est sûr de lui. Il propose à la foule de venir marcher sur son pont au pas cadencé. Sa belle assurance est sans doute communicative car tous s’avancent comme les moutons de Panurge… Dieu merci, l’ouvrage tient bon et, à la suite de cet exploit, les frères Seguin sont chargés de construire une vingtaine de ponts sur le Rhône. L’idée de placer un péage aux deux bouts et de faire payer chaque traversée va leur rapporter une petite fortune !

medium_Chaudiere_tubulaire.2.jpgPourtant Monsieur Marc ne s’en tient pas là. Après avoir effectué une série de voyages d'étude en Angleterre, il obtient la concession de la ligne de chemin de fer Saint-Etienne-Lyon pour le transport du charbon et des personnes. Puis il adapte une autre de ses inventions, la chaudière tubulaire, sur une locomotive qu’il fait circuler sur des rails en fer à la vitesse d’un cheval au galop.

Le succès remporté par ce nouveau moyen de locomotion va provoquer la colère des muletiers, des « rouliers » et « postiers » à cheval. Effectivement… le train leur enlève le pain de la bouche. Un jour, Monsieur Marc échappe de justesse à un coup de feu. Plus tard, des saboteurs placent des pierres sur la voie ferrée près d’Annonay pour faire dérailler le train. Heureusement, le pire est évité de justesse.

Les passagers sont d’abord assis sur des bottes de paille dans les wagons de marchandises. Mais Monsieur Marc se soucie de leur confort. Il crée des wagons spécialement pour eux avec des banquettes garnies de draps et il installe des vitres coulissant dans des glissières. Hélas, les voyageurs se taillent des gilets dans le drap des banquettes et volent les tirants des vitres pour s’en faire des bretelles ! Rien ne résiste aux vandales !

Malgré cela, Monsieur Marc refusera toujours d’exploiter le brevet de sa chaudière tubulaire car il ne veut pas tirer profit d’une invention qu’il considère comme utile à toute l'humanité.

Rose meurt en 1836. Son époux en éprouve un grand chagrin… Il se rend auprès de son beau-frère Elie de Montgolfier à Fontenay en Bourgogne. C’est là qu’il fait la connaissance de sa nièce, Marie-Augustine, dite « Mimi », la fille d’Elie. Il l’épouse, deux ans plus tard, bien qu’elle soit de trente-trois ans sa cadette. Elle lui donnera encore six enfants. Il a soixante-douze ans quand naît sa dernière fille.

Monsieur Marc va vivre dix-neuf ans à Fontenay. Il y dirige une papeterie, élève des escargots et expérimente l'ornithoptère, un engin volant à pédales piloté par un jeune prêtre de l’abbaye !… Et puis, un jour, il éprouve le mal du pays… De retour à Annonay avec sa nombreuse famille, il s’installe à Varagnes en dehors de la ville.

Toute la vie de Monsieur Marc est parfaitement réglée. Couché tôt car il réfléchit beaucoup au lit, il se lève tous les jours à quatre heures du matin. Il ne mange que des fruits et des légumes ; il ne boit que de l’eau. Il dépose même un brevet pour une invention qui permet de transformer le vin en eau ! Jésus, Marie, Joseph !

Il s’intéresse à tout : la physique, la chimie, l’astronomie. Il est passionné par les miroirs au point d’en installer partout dans ses maisons.

Devenu un beau vieillard à l’abondante chevelure blanche, Monsieur Marc continue à faire, par tous les temps, de longues promenades dès le point du jour. Il s’éteint paisiblement, à l’âge de quatre vingt-neuf ans, le 24 février 1875. Et je suis sûre qu’il est, là-haut, avec le Bon Dieu, en train de construire les chemins de fer du paradis.

 

Je ne peux pas promettre de vous conduire au paradis mais si vous continuez de grimper le long des rues pentues d’Annonay, vous en serez toujours un peu plus près !

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