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26/07/2006

La commère

medium_Maison_Marc_Seguin.3.jpgAu 2 rue de Trachin se trouve la maison natale de Marc Seguin. L'inventeur y vit le jour le 20 avril 1786. Il était, par sa mère, le petit neveu de Joseph et Etienne de Montgolfier. Il vécut sous quatre rois (Louis XVI, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe), deux empereurs (Napoléon Ier, Napoléon III), trois révolutions (1789 - 1830 - 1848) et trois républiques (1ère République : Convention, Directoire, Consulat / 2ème République : Louis Napoléon Bonaparte / 3ème République : Présidents Thiers, Mac-Mahon).

A la fin de sa vie, on demanda à Marc Seguin d’inventer une machine de guerre pour combattre les Prussiens. Il répondit : « Je ne suis point un homme de guerre mais un pacifique qui n'a su travailler que pour le bien de l'humanité, ayant toujours cherché à créer et non pas à détruire. Je suis heureux de n'avoir pas inventé la poudre et, même en ces jours d'angoisse, je ne voudrais pas inventer pire. » Belle réplique n’est-ce pas ?

Mais il y a là une commère qui, tout en balayant le trottoir devant sa porte, brûle d’envie de nous en dire d’avantage !

 

Les gens de ma famille possèdent cette maison depuis des générations. Elle est située juste en face de celle des Seguin. Toute jeune, ma grand-mère avait été placée chez Monsieur Seguin père. Ce négociant en drap était un homme austère et très religieux qui menait ses cinq fils à la baguette.

L’aîné, Marc, n’a que sept ans quand il est envoyé à Talencieux chez un Dominicain, l’abbé Gros, qui fait l’école aux enfants de bonne famille. Là-bas, le petiotou va mener une vie bien dure.

Cinq ans plus tard, il quitte notre province pour monter à Paris où il sera dirigé par son parrain, Joseph de Montgolfier, qui est démonstrateur au Conservatoire des Arts et Métiers.

Le jeune monsieur est mis en pension dans un collège révolutionnaire laïc où la discipline est sévère. Heureusement, le jeudi et le dimanche, il se rend chez son grand-oncle qu’il aime et admire par-dessus tout.

Monsieur Marc étudie les sciences et puis, à la mort de Joseph de Montgolfier, son père le rappelle à Annonay et lui confie une dure besogne : visiter la clientèle c'est-à-dire courir le Vivarais et le Velay, à cheval, par tous les temps. Notre jeune monsieur emporte toujours avec lui des livres de physique et de chimie qu’il dévore le soir, à l'auberge. Et puis, quand la famille Seguin bâtit à Annonay une manufacture de draps, Marc s’occupe du matériel.

En 1813, il se marie avec Rose Duret ; elle lui fera treize enfants. Il est très amoureux de sa femme… au point de garder toujours une de ses chaussures sur son bureau à côté de l’encrier et de refuser qu’un peintre fasse son portrait parce qu’il ne veut pas que le regard d’un autre homme que lui se pose sur elle !

medium_Pont_du_Moulin.2.jpgA trente-sept ans, Monsieur Marc met au point sa première grande invention : les ponts suspendus. Il construit d’abord une petite passerelle sur la Cance puis une autre, plus grande, sur la Galaure. Pour éprouver sa solidité, elle est chargée de quatre tonnes de gravier et les cinq frères Seguin vont s’asseoir encore au-dessus !

Notre courageux inventeur obtient alors l’autorisation de bâtir, à ses frais, à ses risques et périls et en dix-huit mois seulement, un pont suspendu sur le Rhône entre Tain-L’Hermitage et Tournon. Etant donné que les tréfileries de l’époque ne sont pas capables de fabriquer du matériel assez résistant, Monsieur Marc installe une fabrique qui tresse ses câbles avec du fil de fer ordinaire. Il invente aussi une cloche de plongée pour que les ouvriers puissent travailler sous l’eau. Une fois terminé, l’ouvrage est chargé de soixante tonnes de gravier et on y fait circuler des voitures pleines de pierres.

L’inauguration du premier pont suspendu a lieu le 25 août 1825 : ce jour-là, de nombreux badauds attirés par l’événement, se pressent sur les berges du Rhône. Comme Saint Thomas, beaucoup sont incrédules ! Qu’à cela ne tienne, Monsieur Marc est sûr de lui. Il propose à la foule de venir marcher sur son pont au pas cadencé. Sa belle assurance est sans doute communicative car tous s’avancent comme les moutons de Panurge… Dieu merci, l’ouvrage tient bon et, à la suite de cet exploit, les frères Seguin sont chargés de construire une vingtaine de ponts sur le Rhône. L’idée de placer un péage aux deux bouts et de faire payer chaque traversée va leur rapporter une petite fortune !

medium_Chaudiere_tubulaire.2.jpgPourtant Monsieur Marc ne s’en tient pas là. Après avoir effectué une série de voyages d'étude en Angleterre, il obtient la concession de la ligne de chemin de fer Saint-Etienne-Lyon pour le transport du charbon et des personnes. Puis il adapte une autre de ses inventions, la chaudière tubulaire, sur une locomotive qu’il fait circuler sur des rails en fer à la vitesse d’un cheval au galop.

Le succès remporté par ce nouveau moyen de locomotion va provoquer la colère des muletiers, des « rouliers » et « postiers » à cheval. Effectivement… le train leur enlève le pain de la bouche. Un jour, Monsieur Marc échappe de justesse à un coup de feu. Plus tard, des saboteurs placent des pierres sur la voie ferrée près d’Annonay pour faire dérailler le train. Heureusement, le pire est évité de justesse.

Les passagers sont d’abord assis sur des bottes de paille dans les wagons de marchandises. Mais Monsieur Marc se soucie de leur confort. Il crée des wagons spécialement pour eux avec des banquettes garnies de draps et il installe des vitres coulissant dans des glissières. Hélas, les voyageurs se taillent des gilets dans le drap des banquettes et volent les tirants des vitres pour s’en faire des bretelles ! Rien ne résiste aux vandales !

Malgré cela, Monsieur Marc refusera toujours d’exploiter le brevet de sa chaudière tubulaire car il ne veut pas tirer profit d’une invention qu’il considère comme utile à toute l'humanité.

Rose meurt en 1836. Son époux en éprouve un grand chagrin… Il se rend auprès de son beau-frère Elie de Montgolfier à Fontenay en Bourgogne. C’est là qu’il fait la connaissance de sa nièce, Marie-Augustine, dite « Mimi », la fille d’Elie. Il l’épouse, deux ans plus tard, bien qu’elle soit de trente-trois ans sa cadette. Elle lui donnera encore six enfants. Il a soixante-douze ans quand naît sa dernière fille.

Monsieur Marc va vivre dix-neuf ans à Fontenay. Il y dirige une papeterie, élève des escargots et expérimente l'ornithoptère, un engin volant à pédales piloté par un jeune prêtre de l’abbaye !… Et puis, un jour, il éprouve le mal du pays… De retour à Annonay avec sa nombreuse famille, il s’installe à Varagnes en dehors de la ville.

Toute la vie de Monsieur Marc est parfaitement réglée. Couché tôt car il réfléchit beaucoup au lit, il se lève tous les jours à quatre heures du matin. Il ne mange que des fruits et des légumes ; il ne boit que de l’eau. Il dépose même un brevet pour une invention qui permet de transformer le vin en eau ! Jésus, Marie, Joseph !

Il s’intéresse à tout : la physique, la chimie, l’astronomie. Il est passionné par les miroirs au point d’en installer partout dans ses maisons.

Devenu un beau vieillard à l’abondante chevelure blanche, Monsieur Marc continue à faire, par tous les temps, de longues promenades dès le point du jour. Il s’éteint paisiblement, à l’âge de quatre vingt-neuf ans, le 24 février 1875. Et je suis sûre qu’il est, là-haut, avec le Bon Dieu, en train de construire les chemins de fer du paradis.

 

Je ne peux pas promettre de vous conduire au paradis mais si vous continuez de grimper le long des rues pentues d’Annonay, vous en serez toujours un peu plus près !

medium_Statue_de_Marc_Seguin_1.2.jpg

Le maître de la couble

medium_AinsiVontLesHommes05.jpgChez nous, le souvenir des muletiers cévenols est resté très vivace. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, ces hommes hors du commun transportaient toutes sortes de marchandises de la basse vallée du Rhône aux hauts plateaux d’Auvergne et de Lozère. Pour situer l’importance du trafic, je peux vous dire qu’en 1852, neuf mille mulets ont transité par Annonay.

Les muletiers considéraient leurs bêtes comme des compagnons fidèles, robustes et endurants… sans doute un peu têtus mais pas plus qu’un Ardéchois ! Leurs pieds, étroits et pointus, convenaient bien aux routes pierreuses et aux sentiers de montagne. Ils portaient d’ailleurs de grandes œillères en cuivre, les phalères, pour franchir sans avoir peur les passages particulièrement escarpés.

De nombreux muletiers se sont arrêtés sur la place Grenette. L’un d’eux est encore assis sous les arcades de l’ancienne halle aux grains. Il fume la pipe tandis qu’à la fontaine, le cheval de la barde s’enivre de l’eau claire du Montmiandon. L’homme parle d’une voix forte et, de temps à autre, un éclair de malice brille dans l’azur de ses yeux :

 

« Contentement passe richesse

Vive l’amour sans tristesse. » Telle est ma devise !

Je l’ai gravée de ma main sur les phalères du Viégi… Je m’appelle Gabriel Espérance et je suis muletier…

Dur métier que le nôtre : il ne nous laisse guère de répit mais il a le mérite de nous faire connaître la chanson de la route : « J’ai ma maison dans le vent sans mémoire,

J’ai mon savoir dans les livres du vent… »

Comme nos pères et nos grands-pères avant eux, nous avons découvert l’art et la manière du négoce… du bagout et tout le bataclan… Nous continuons à gérer nos affaires au jour le jour, de notre marche lente et tranquille, gagnant Lyon, Mende ou Avignon, où nous livrons la soie, le vin et les épices. Mais nous sommes aussi les passeurs entre le monde d’en haut et celui d’en bas ; nous comprenons mieux que les autres la solitude des grands espaces et le plaisir de la liberté. Nous sommes de la race des Seigneurs…

Ce soir, je vais quiller mes mulets devant le Logis de la Pomme… Je souperai chez le père Franchon… Ses poulets sont les meilleurs du pays et son vin ressusciterait un mort !

A chaque arrêt, j’étrille chacune de mes bêtes. J’éponge sa sueur et passe de l’eau froide sur les piqûres d’insectes pour en atténuer la brûlure. Je l’appelle par son nom et lui parle doucement à l’oreille. Les mulets me remercient à leur façon des soins que je leur apporte. Quand je me couche près d’eux, ils frottent leur gros museau contre mon visage. L’odeur de la paille est douce… Je m’endors heureux et rêve de l’ombre bleutée des grands sapins le long des drailles

Au matin, les mulets piaffent d’impatience, ils savent d’instinct quel chemin emprunter. Partout où nous passons, la couble est accueillie par des cris d’admiration ! Comme une nuée de moineaux, les gamins se précipitent vers les bêtes pour le plaisir de faire résonner leurs clochettes ou dans l’espoir de décrocher un de leurs pompons rouges…

medium_Neige_-_merle.jpgDes histoires de muletiers, je pourrais vous en raconter toute la nuit… et des fameuses !… Par exemple, celle du François, nouveau dans le métier. Un jour, des compagnons lui demandent de les accompagner dans une grotte où quatre de leurs mulets se sont mis à l’écoundiu. La burle a accumulé des congères ; il sera bien difficile de passer. Après avoir gravi péniblement la pente, les hommes arrivent enfin. Les mulets ont la tremblote ; les pauvres, ils ont le museau et les pattes gelés.

Soudain, l’un des compagnons entend un léger craquement. Quand on est muletier, cette sorte de bruit ne trompe pas. Il sort aussitôt son couteau. Les yeux braqués dans la même direction, tous aperçoivent une lueur…

La forêt est souvent fréquentée par les brigands ; il faut redoubler d’attention. Mais François ne se laisse pas démonter. Il veut en avoir le cœur net.

Calmement, il sort de son sac une drôle de pipe que les muletiers fument d’habitude pendant les délibérations graves. François cure le fourneau, le remplit de tabac blond, l’allume et tire sur le tuyau long de plus d’un mètre ! La lueur du foyer brille dans le noir. Soudain, une détonation claque. Le fourneau de la pipe vole en éclats :

« Ils sont armés ! » s’écrie François.

Les muletiers vont se cacher dans la grotte tandis qu’un homme s’approche. Sûr d’avoir fait mouche, il avance et cherche des yeux le corps de celui qu’il croit avoir tué… mais il ne voit rien.

C’est alors que François a une idée ! Un large sourire éclaire son visage à la pensée de la farce qu’il va faire à son voleur. Avec les mains en porte-voix, l’apprenti muletier imite le braiment du mulet. Sa voix puissante résonne sous la voûte de la grotte et produit un bruit terrifiant qui vient troubler le calme du soir. S’agit-il du cri d’un monstre ou d’un géant dérangé dans son sommeil ?… Les forêts sont peuplés d’êtres maléfiques… tout le monde le sait. Pris soudain de panique, notre brigand s’enfuit en courant sans demander son reste… il trébuche sur une pierre, s’étale de tout son long, se relève aussitôt et se remet à courir comme s’il avait le Diable lui-même à ses trousses. Sortis de leur cachette, les compagnons éclatent de rire. Et voilà… c’est ainsi que le François s’est forgé une solide réputation de chasseur de brigands !

Sacré François ! Sans plus attendre, il pique une boute et distribue à ses amis l’Or des Muletiers, un petit vin du pays, qui réchauffe les corps et ranime les cœurs.

Dans les auberges, on voit parfois de drôles de choses, allez. Un soir, je m’étais arrêté au medium_La_Louvesc_-_statue_de_Saint_Regis_1.jpgTraiteur, à côté de Lalouvesc, pour y passer la nuit. Après avoir bien chanté et dansé… c’est le moment de trinquer : « A ta santé, muletier ! A tes amours ! A la prospérité de ta couble ! A l’amitié ! »

Mais il se fait tard, une bassinoire à la main, la vieille Gustine monte l’escalier en pierre qui mène aux chambres. Elle va réchauffer mon lit. Le patron m’a cédé sa chambre car, cette nuit, il attend encore du monde ; il ne se couchera pas…

La cuisinière entre. Mais au moment de soulever la couverture, la vieille femme recule, frappée de stupeur… Couchée dans le lit du patron et coiffée d’un bonnet blanc bordé de dentelle, elle voit la maîtresse du logis… morte depuis plus de cinq ans !

Malgré son grand âge, Gustine descend quatre à quatre l’escalier. Elle se précipite dans la cuisine, affolée :

« Votre chambre est hantée ! » finit-elle par dire à son patron en s’effondrant sur une chaise.

« Francine ! » s’écrie l’aubergiste qui se demande si sa pauvre cuisinière a encore tout son bon sens « va t’en bassiner le lit ! La Gustine décoconne ! »

Francine obéit non sans rechigner.

A l’étage, la jeune fille tâtonne dans l’obscurité… L’édredon semble bouger… La servante frôle l’oreiller et sent sur sa main un souffle chaud ! Elle hurle comme une possédée !

J’entends ses cris qui résonnent dans toute la maison. Ni une, ni deux… je me précipite à la rescousse. Je donne de grands coups de fouet sur le lit et le revenant s’enfuit sans demander son reste !

En bas, tout le monde éclate de rire…

« - Tiens, voilà la mère-grand du Petit Chaperon Rouge ! » dit une voix moqueuse.

Une coiffe nouée autour de la tête, le chat de Rosine, la fille de l’hôtelier, se précipite dans la salle à manger, bouscule les clients et s’enfuit par la porte restée ouverte…

Au milieu des acclamations, Rosine gambade comme une diablesse tout en riant de la farce qu’elle vient de jouer…

Je saisis la fillette et l’élève à bout de bras. Ah ! Rosine, ma mie ! C’est ainsi que j’aime les femmes ! Si tu avais eu dix ans de plus, ce soir là, vois-tu, j’aurais de suite demandé ta main !

C’est vrai, les muletiers sont de joyeux lurons toujours prêts à rire. Un Andalou que j’ai rencontré sur le Chemin des Mules m’a raconté au coin du feu l’aventure qui est arrivée à un seigneur de chez lui.

Le sort - ou le diable, qui ne dort que d'un œil – a voulu que des muletiers choisissent le même endroit que Don Quichotte pour y faire un somme et donner herbe et eau à leurs mulets.

Sancho ne s'était pas donné la peine d'entraver Rossinante, le cheval de son maître, car il le savait placide et si peu ardent que toutes les juments de la plaine de Cordoue n'auraient pas suffi à le débaucher. Mais, tout à coup, il vint à Rossinante le désir de folâtrer avec ces dames mules !

Aussitôt qu'il les eut reniflées, délaissant son allure ordinaire et sans demander la permission, il partit d'un petit trot fringant leur présenter ses hommages.

Mais elles avaient, semble-t-il, plus envie de paître que d'autre chose, et elles le reçurent à coups de fers et de dents, si bien que très vite les sangles de Rossinante cassèrent et qu'il se retrouva sans selle… tout nu pour ainsi dire ! Pire encore : voyant qu'on voulait abuser de leurs bêtes, les muletiers accoururent armés de bâtons et lui donnèrent une telle correction qu'ils l'étendirent par terre !

Demain, à la pique du jour, je vais partir en direction du Puy-en-Velay où l’on fabrique les boutes les plus solides. J’irai aussi prier la Madone. Sous le grand arceau de l’escalier de la cathédrale, il y a quatre fers de mulets en souvenir de ce jour où l’un des nôtres s’est engagé avec ses bêtes sur les glaces du lac du Bouchet. Il n’a dû son salut qu’à la protection de Notre Dame à qui il avait fait vœu de donner le plus beau de ses mulets orné d’un plumet rouge et d’un collier de grelots dorés.

Salut et fraternité à tous !… Peut-être nous reverrons-nous en d’autres lieux puisque seules, dit-on, les montagnes ne se rencontrent pas.

 

Huit heures sonnent au clocher de Trachin. L’homme saisit sa monture par la bride et s’en va rejoindre ses compagnons déjà attablés à l’auberge. Croyez-moi, ce soir, ils vont faire la bringue !

Adiussiatz muletier… Que Dieu te garde et te préserve des mille accidents qu’on rencontre sur le chemin de la vie !…

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Le lecteur public

medium_Rue_Sainte_Marie_-_Maison_Boissy_d_Anglas.jpgFrançois Antoine Boissy est né le 8 décembre 1756 à Saint-Jean-Chambre près de Vernoux. Il n’a que trois ans lorsque son père meurt ! Sa mère décide alors de venir s’installer chez son propre père, Jean Rignol, avocat qui habite une riche demeure au 7 rue Sainte-Marie à Annonay. Le jeune François Antoine va y passer son enfance.

On dit souvent que « Nul n’est prophète en son pays » ; la vie de Boissy d’Anglas illustre bien ce proverbe. Cependant, il conservera toujours un amour profond pour sa terre d’origine. Bien que décédé à Paris le 20 octobre 1826, il sera enterré à Annonay, au cimetière de la Croisette, conformément à ses dernières volontés.

Un émouvant témoignage de l’attachement du député Boissy d’Anglas aux vertus de la Révolution nous est donné dans une lettre datée de 1790. Elle est intitulée « A mes concitoyens »… en voici quelques lignes : « Il est un principe sacré que nous n’oublierons jamais, c’est que les hommes sont égaux et qu’ils doivent tous être libres. Ainsi, généreux Citoyens, n’attaquez, je vous en conjure, la liberté de personne et ne perdez jamais de vue, que lorsqu’on veut créer une plaine, ce n’est pas seulement les montagnes que l’on abaisse mais les vallons que l’on élève. »

Mais, c’est le 1er prairial de l’an III (le 20 mai 1795) que François Antoine Boissy d’Anglas, député de la Convention, a rendez-vous avec l’Histoire.

medium_Maison_des_Consuls.2.jpgA Annonay, un lecteur public, installé dans la cour de la maison des Consuls, ouvre le « Journal de Paris ». Devant un auditoire venu s’informer des dernière nouvelles, il va évoquer les tragiques événement qui se sont déroulés dans la capitale quelques jours plus tôt :

 

Toute la nuit du 30 floréal au 1er prairial se passa en agitations, en cris, en menaces. A la pointe du jour, le tumulte était général. Les patriotes faisaient retentir toutes les cloches dont ils pouvaient disposer, ils battaient la générale et tiraient le canon tandis que sonnait le tocsin.

Le rassemblement grossissant toujours s’avançait peu à peu vers les Tuileries. Les femmes marchaient les premières parce que, disaient-elles, la force armée n’oserait pas tirer sur elles. Elles criaient que la Convention n’avait tué Robespierre que pour se mettre à sa place, qu’elle affamait le peuple, protégeait les marchands qui suçaient le sang du pauvre et envoyait à la mort tous les patriotes. Elles réclamaient du pain et la constitution de 93 ! Des hommes ivres, des troupes de bandits armés de piques, de sabres et d'armes de toute espèce, des flots de la plus vile populace et quelques bataillons des sec­tions régulièrement armés formaient ce rassem­blement qui marchait sans ordre vers le but indiqué à tous : la Convention. Vers les dix heures, ils étaient arrivés aux Tuileries, ils assiégeaient la salle de l'assemblée, et en fermaient toutes les issues.

Les députés, accourus en toute hâte, étaient à leur poste. Les membres de la Montagne n'avaient pas été avertis, et, comme leurs collègues, ne connaissaient le mouvement que par les cris de la populace et les retentissements du tocsin.

L'assemblée à peine réunie, le député Isambeau vint lui lire le ma­nifeste de l'insurrection. Les tribunes, occupées de grand matin par les patriotes, retentirent aussi­tôt de bruyants applaudissements. En voyant la Convention ainsi assiégée, un membre s'écria qu'elle saurait mourir à son poste. Aussitôt tous les députés se levèrent en répétant : « Oui ! Oui ! »

Dans ce moment, on entendait croître le bruit, on entendait gronder les flots de la populace ; les députés se succédaient à la tribune, et présentaient différentes réflexions. Tout à coup on voit fondre un essaim de femmes dans les tribunes ; elles s'y précipitent, foulant aux pieds ceux qui les occupent et criant :

medium_Statue_de_Boissy_d_Anglas_-_1er_prairial_4.2.jpg« Du pain ! du pain ! »

Le président Vernier leur commande le silence ; mais elles continuent à crier :

« Du pain ! du pain ! »

Les unes montrent le poing à l'assemblée, les autres se moquent. Le président Dumont déclare alors qu'il va les faire sortir : on le couvre de huées d'un côté, d'applaudissements de l'autre.

Dans ce moment, on entend des coups violents donnés dans la porte de gauche, et le bruit d'une multitude qui fait effort pour l'enfoncer ; des plâtras tombent. Le président, dans cette situation périlleuse, s'adresse à un général qui s'était pré­senté à la barre pour faire une pétition fort sage :

« Général, lui dit-il, je vous somme de veiller sur la représentation nationale, et je vous nomme commandant provisoire de la force armée. »

L'assemblée confirme cette nomination par ses applaudissements. Le général déclare qu'il mourra à son poste et sort pour se rendre au lieu du combat. Dans ce moment, le bruit qui se faisait à l'une des portes cesse ; un peu de calme se rétablit.

Le président, s'adressant aux tribunes, enjoint à tous les bons citoyens qui les occupent d'en sortir et déclare qu'on va employer la force pour les faire évacuer. Certains sortent mais les femmes restent en poussant les mêmes cris.

medium_Statue_de_Boissy_d_Anglas_4.3.jpgQuelques instants après, le général, chargé de veiller sur la Convention, rentre avec une escorte de fusiliers et plusieurs jeunes gens qui s'étaient munis de fouets de poste. Ils escaladent les tribunes et en font sortir les femmes en les chassant à coups de fouet. Elles fuient en poussant des cris épouvantables, sous les applaudissements d'une partie des assistants.

A peine les tribunes sont-elles évacuées, que le bruit redouble. La foule est revenue à la charge ; elle attaque de nouveau la porte qui cède à la violence, éclate et se brise. Les membres de la Convention se retirent sur les bancs supérieurs ; la gendarmerie forme une haie autour d'eux pour les protéger. Aussitôt des citoyens armés des sections accourent dans la salle par la porte de droite, ils chassent d’abord la populace et s’emparent de quelques femmes ; mais ils sont bientôt refoulés à leur tour.

Heureusement la sec­tion de Grenelle, accourue la première au secours de la Convention, arrive dans ce moment, et vient fournir un utile renfort.

Le député Auguis est à sa tête, le sabre à la main.

« En avant ! » s'écrie-t-il...

On se serre, on avance, on croise les baïonnettes, et on repousse sans blessures la multitude des assaillants qui cède à la vue du fer. On saisit par le collet l'un des révoltés, on le traîne au pied du bureau, on le fouille, et on lui trouve les poches pleines de pain. Il était deux heures. Un peu de calme se ré­tablit dans l'assemblée.

Cependant la foule augmentait autour de la salle. Les deux ou trois sections retranchées à l’intérieur du Palais National ne pouvaient résister à la masse toujours croissante des assaillants. Des renforts ve­naient d'arriver mais ils ne pouvaient pénétrer dans l'intérieur ; ils n'avaient pas d'ordre et ne savaient quel usage faire de leurs armes.

En cet instant la foule pénètre jusqu'à la porte brisée. On crie :

« Aux armes ! »

et les hommes qui se trouvaient à l'intérieur de la salle accourent ; l'assemblée demeure calme. Le combat s'engage devant la porte même ; les défenseurs de la Convention croisent la baïonnette ; de leur côté les assaillants font feu, et les balles viennent frapper les murs de la salle. Les députés se lèvent en criant :

« Vive la république ! »

De nouveaux détachements accourent et viennent prêter main forte. Les coups de feu redoublent : on charge, on se mêle, on sabre. Mais une foule immense, placée derrière les assaillants, les pousse, les porte malgré eux sur les baïonnettes, renverse tous les obstacles qu'on lui oppose et fait irruption dans l'assemblée.

Un jeune député, plein de courage et de dévouement, Féraud, récemment arrivé de l'armée du Rhin et courant depuis quinze jours autour de Paris pour hâter l'arrivage des subsistances, vole au-devant de la foule et la conjure de ne pas pé­nétrer plus avant :

« Tuez-moi, s'écrie-t-il en découvrant sa poitrine ; vous n’entrerez qu’après avoir passé sur mon corps. »

Puis il se couche à terre pour essayer de les arrêter mais ces furieux, sans l'écouter, passent sur son corps et courent vers le bureau.

Il était trois heures. Des femmes ivres, des hommes armés de sabres, de piques, de fusils remplissent la salle ; les uns vont occuper les banquettes inférieures, abandonnées par les députés, les autres remplissent le parquet, quelques-uns se placent devant le bu­reau ou montent par les petits escaliers qui con­duisent au fauteuil du président.

Un jeune officier des sections, nommé Mally, placé sur les marches du bureau, arrache à l'un de ces hommes l'écriteau qu'il portait sur son chapeau. On tire aussitôt sur lui et il tombe blessé de plusieurs coups de feu.

medium_Statue_de_Boissy_d_Anglas_-_1er_prairial_5.jpgDans ce moment, toutes les baïonnettes, toutes les piques se dirigent sur le président ; on enferme sa tête dans une haie de fer. C'est Boissy d'Anglas qui a succédé à André Dumont ; il demeure immobile et calme.

Féraud, qui s'était relevé, accourt au pied de la tribune, s'arrache les cheveux, se frappe la poitrine de douleur, et, en voyant le danger du président, s'élance pour aller le couvrir de son corps.

L'un des hommes armé de piques veut le retenir par l'habit ; un officier, pour dégager Fé­raud, assène un coup de poing à l'homme qui le retenait ; ce dernier répond au coup de poing par un coup de pistolet qui atteint Féraud à l'épaule. L’infortuné jeune homme tombe, on l'entraîne, on le foule aux pieds, on l'emporte hors de la salle, et on livre son cadavre à la populace.

Boissy-d'Anglas demeure calme et impassible au milieu de cette épouvantable scène ; les baïonnettes et les piques environnent encore sa tête. Alors commence une scène de confusion impossible à décrire. Chacun veut parler et crie en vain pour se faire entendre. Les tambours battent pour rétablir le silence mais la foule, s'amusant de ce chaos, vocifère, frappe des pieds, trépigne de plaisir en voyant l'état auquel est réduite l’as­semblée.

Un canonnier, entouré de fusiliers, monte à la tribune pour lire le plan d'insurrection. La lecture est à chaque instant interrompue par des cris, des injures, et par le roulement du tambour. Un homme veut prendre la parole, et s'adresser à la multitude :

« Mes amis, dit-il, nous sommes tous ici pour la même cause. Le danger presse, il faut des décrets, laissez vos représentants les rendre. »

« A bas ! à bas ! » lui crie-t-on pour toute réponse.

Le député Rhul, vieillard d'un aspect vénérable et montagnard zélé, veut dire quelques mots de sa place mais on l'interrompt par de nouvelles vociférations. Romme, homme austère, étranger à l'insurrection, mais désirant que les mesures demandées par le peuple fussent adoptées, et voyant avec peine que cette épouvantable confusion allait être sans résultat, demande la parole ; Duroi la demande aussi pour le même motif : ni l'un ni l’autre ne peuvent l'obtenir. Le tumulte recom­mence, et dure encore plus d'une heure.

medium_Statue_de_Boissy_d_Anglas_-_1er_prairial_6.2.jpgPendant cette scène on apporte une tête au bout d'une baïonnette : on la regarde avec effroi, on ne peut la reconnaître. Les uns disent que c'est celle de Fréron, d'autres disent que c'est celle de Féraud. C'est bien celle de Féraud, en effet, que des brigands avaient coupée et qu'ils avaient placée au bout d'une baïonnette. Ils la promènent dans la salle, au milieu des hurlements de la multitude.

La fu­reur contre le président Boissy d'AngIas recom­mence ; il est de nouveau en péril ; on entoure sa tête de baïonnettes ; on le met en joue de tous côtés ; mille morts le menacent. Il était déjà sept heures du soir. On tremblait dans l'assemblée, on craignait que cette foule, où se trouvaient des scélérats, ne se portât aux dernières extrémités et n'égorgeât les représentants du peuple au milieu de l'obscurité de la nuit. Plusieurs membres du centre engageaient certains montagnards à parler pour exhorter la multitude à se dissiper.

Vernier essaie de dire aux révoltés qu'il est tard, qu'ils doivent songer à se retirer, qu'ils vont exposer le peuple à manquer de pain, en troublant les arrivages :

« C'est de la tactique, » répond la foule « il y a trois mois que vous nous dites cela. »

Alors plusieurs voix s'élèvent suc­cessivement du sein de la multitude : celle-ci demande la liberté des patriotes et des députés arrêtés ; celle-là, la constitution de 93 ; une troisième, l'arrestation de tous les émigrés ; une foule d'autres, des perquisitions pour recher­cher les subsistances cachées, etc… Enfin, un dernier ne sachant que demander s’écrie :

« L’arrestation des coquins et des lâches ! »

et, pendant une demi-heure, il répète par intervalle :

« L’arrestation des coquins et des lâches ! »

L'un des meneurs, sentant enfin la nécessité de décider quelque chose, propose de faire descendre les députés des hautes banquettes, où ils sont placés, pour les réunir au milieu de la salle et les faire délibérer. Aussitôt on adopte la proposition, on les pousse hors de leurs sièges, on les fait descendre, on les parque, comme un troupeau. Des hommes les entourent, et les enferment en faisant la chaîne avec leurs piques. Ver­nier remplace Boissy-d'Anglas, accablé de fatigues après six heures d'une présidence aussi périlleuse.

Il est neuf heures. Une espèce de déli­bération s'organise ; on convient que le peuple restera couvert et que les députés seuls lèveront leurs chapeaux en signe d'approbation. Les Montagnards commencent à espérer qu’on pourra rendre les décrets et se disposent à prendre la parole. Romme demande qu'on ordonne la libération des patriotes. Duroi dit que les députés arrêtés au 12 germinal l'ont été illégalement et qu'il faut prononcer leur rappel. On oblige le président à mettre ces différentes propositions aux voix ; on lève les chapeaux, on crie :

« Adopté, adopté »

au milieu d'un bruit épouvantable, sans qu'on puisse distinguer si les députés ont réellement voté. Bourbotte demande l'arrestation des journalistes. Une voix inconnue s'élève, et dit que, pour prou­ver que les patriotes ne sont pas des cannibales, il faut abolir la peine de mort :

« Oui, oui, » s'écrie-t-on, « excepté pour les émigrés et les fabricateurs de faux assignats. »

On adopte cette proposition dans la même forme que les précédentes.

Duques­noy demande la suspension des comités et la nomination d'une commission extraordinaire de quatre membres. On désigne sur-le-champ Bourbotte, Prieur (de la Marne), Duroi et Duquesnoy lui-même. Ces quatre députés acceptent les fonctions qui leur sont confiées. Quelque périlleuses qu'elles soient, ils sauront, disent-ils, les remplir, et mourir à leur poste. Ils sortent pour se rendre auprès des comités, et s'emparer de tous les pouvoirs. C'était là le difficile et toute la journée dépendait du ré­sultat de cette opération...

medium_Statue_de_Boissy_d_Anglas_-_1er_prairial_7.3.jpgMais l'insurrection n’avait pas été menée avec la mesure et la vigueur qui pouvaient la faire réussir. Quelques furieux avaient commis des excès affreux mais n'avaient rien fait de ce qu'il fallait faire. Aucun détachement ne fut envoyé pour suspendre et paralyser les comités, pour ouvrir les prisons et délivrer les hommes éner­giques dont le secours eût été si précieux. On s'é­tait emparé seulement de l'arsenal.

Pendant ce temps, au contraire, les comités du gouvernement, entourés et défendus par la jeu­nesse dorée, avaient employé tous leurs efforts à réunir les sections. Ce n'avait pas été facile avec le tumulte qui régnait et avec l'effroi qui s'était emparé de beaucoup d'entre elles. Mais ils étaient parvenus ensuite à en convoquer un assez grand nombre et ils se disposaient vers la nuit à saisir le moment où le peuple, fatigué, commencerait à devenir moins nombreux pour fondre sur les révoltés et délivrer la Convention. Le­gendre, Auguis, Chénier, Delecloi, Bergoeng et Kervélégan s'étaient rendus à la tête de forts déta­chements, auprès de la Convention. Arrivés là, ils étaient convenus de laisser les portes ouvertes, afin que le peuple, pressé d'un côté, pût sortir de l'autre. Legendre et Delecloi s'étaient chargés ensuite de pénétrer dans la salle, de monter à la tribune au milieu de tous les dangers et de sommer les révoltés de se retirer :

 « S'ils ne cèdent pas, dirent-ils à leurs collègues, chargez, et ne craignez rien pour nous. Dussions-nous périr dans la mêlée, avancez toujours. »

Legendre et Delecloi pénétrèrent en effet dans la salle, à l'instant où les quatre députés nommés pour former la commission extraordinaire allaient sortir. Legendre monte à la tribune, à travers les insultes et les coups et prend la parole au milieu des huées :

« J'invite l'assemblée, dit-il, à rester ferme, et les citoyens qui sont ici à sortir. »­

« A bas ! à bas ! » s’écrie la foule.

Legendre et Delecloi sont obligés de se retirer. Duquesnoy s'adresse alors à ses collègues de la commission extraordinaire, et les engage à le suivre afin de suspendre les co­mités « qui, comme on le voit, dit-il, sont contraires aux opérations de l'assemblée. » 

Ils sortent alors tous les quatre, mais ils rencontrent le détachement à la tête du­quel marchent les représentants Legendre, Kervé­légan et Auguis ainsi que Raffet, le commandant de la Garde Nationale. Prieur (de la Marne) demande à Raffet s'il a reçu du président l'ordre d'entrer :

« Je ne te dois aucun compte. » lui répond Raffet et il avance.

On somme alors la multitude de se retirer ; le président l'y invite au nom de la loi : elle répond par des huées. Aussitôt on baisse les baïonnettes et on entre ; la foule désarmée cède mais des hommes armés qui s'y trouvaient mêlés résistent un moment ; ils sont repoussés et fuient en criant : « A nous sans-culottes ! »

Une partie des patriotes revient à ce cri, et charge avec violence le détachement qui avait pénétré. Ils ont un in­stant l'avantage ; le député Kervélégan est blessé à la main ; les montagnards Bourbotte, Peyssard, Gaston, crient victoire. Mais le pas de charge re­tentit dans la salle extérieure ; un renfort considé­rable arrive, fond de nouveau sur les insurgés, les medium_Statue_de_Boissy_d_Anglas_1.5.jpgrepousse, les sabre, les poursuit à coups de baïon­nettes.

Ils fuient, se pressent aux portes ou esca­ladent les tribunes et se sauvent par les fenêtres.

La salle est enfin évacuée : il est minuit.

 

Le lecteur public se lève ; l’assistance est silencieuse, perdue dans ses pensées. Un homme redresse la tête. Il travaille à l’Ecu de Ville, une auberge où les voyageurs échangent les nouvelles, le soir, après souper. Hier, justement, il a entendu parler de cette fameuse journée du 1er Prairial. Il paraît qu’au moment où les insurgés se sont avancés avec la tête de Féraud plantée au bout de leur pique, Boissy d’Anglas s’est levé et, sans un mot, a ôté son chapeau. Cet hommage muet et plein de dignité a imposé le respect… y compris à ses adversaires les plus farouches.

Loin de la violence extrême de la capitale, les citoyens d’Annonay partagent les inquiétudes des insurgés parisiens. « Du pain ! du pain ! », le cri désespéré des femmes résonne dans leur tête. Mais, au fond du cœur, chacun nourrit l’espoir que demain sera meilleur…

Texte d’Adolphe Thiers

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